Gwenola Sueur, doctorante, qui est passée par notre master est interviewvée par Aurélie Urbano, étudiante en M2 Corps et Biopolitique pour parler de son expérience, son parcours et sa recherche de doctorat.

Gwenola, qu’est-ce qui t’a amené à intégrer le Master 2 Corps et Biopolitique?

J’ai plus de 50 ans, trois enfants et j’hésitais à reprendre mes études, je ne pouvais pas forcément me déplacer pour suivre les cours et j’avais entendu parler de ce master par l’intermédiaire d’Arlette Gautier, Marie-Laure Deroff et Pierre-Guillaume Prigent et je me suis dit : “pourquoi ne pas postuler ?” En 2018, j’ai rencontré Arlette Gautier à une conférence au CIRF qui m’a encouragée et à qui j’ai envoyé mon projet. C’était à distance donc il était plus facile pour moi de m’organiser. Je suis entrée directement en M2 en 2019 -j’avais déjà quelques publications- car j’étais un peu pressée une fois la décision prise. J’ai un peu regretté de ne pas avoir fait de M1 qui contenait le socle sur les masculinités.

Tu as une formation de professeure d’histoire-géographie?
Oui, c’est ma formation initiale mais je n’ai pas beaucoup enseigné, j’ai obtenu une maîtrise d’histoire contemporaine sur “Les notables dans l’arrondissement de Guingamp dans les années trente”, arrondissement où je suis encore dans le cadre de ma thèse. J’ai travaillé dans les métiers du sondage, dirigé des équipes d’enquêteurs. Entre divers déménagements et la naissance de mes enfants, je me suis retrouvée dans une zone rurale, dans un contexte ne me permettant pas de travailler. J’ai alors intégré des associations de lutte contre les violences conjugales en 2011 en tant qu’écoutante, un travail bénévole à plein temps puis j’ai fait la connaissance de Pierre-Guillaume Prigent et nous avons commencé notre travail sur le milieu masculiniste. J’ai rencontré des chercheurs m’encourageant à reprendre des études et je me suis lancée.

Quelles étaient tes attentes professionnelles du point de vue de ce master?
J’ai choisi le parcours recherche, Corps et Biopolitique, afin de travailler sur les violences, améliorer ma pratique, me remettre à niveau sans précisément penser à la thèse.

Souhaitais-tu asseoir un raisonnement théorique en joignant cette formation?
Oui car lorsque je disais ce que je dis aujourd’hui comme intervenante sociale, je n’étais pas crue ou écoutée et maintenant on m’écoute un peu plus, ça en fait partie. Je pensais qu’on aurait plus parler des violences conjugales dans ce master et j’ai été étonnée qu’on n’en parle pas tant que ça et ça m’a frustrée. Il y avait des thématiques qui ne m’intéressaient pas finalement. Travaillant à côté, cela a été aussi compliqué, je sortais d’une conférence pour une autre, je n’avais pas le temps de faire mes TD et j’ai obtenu de très mauvaises notes au début puis je me suis adaptée par la suite.

Comment as-tu envisagé de devenir doctorante?
Je donne des cours dans plusieurs facultés mais seulement quelques heures, sur les violences conjugales, mais après le mémoire j’ai envisagé la thèse et lors de la soutenance mes professeures Arlette Gautier et Christine Bard m’ont dit qu’elles me voyaient plutôt historienne et m’ont invité à me renseigner dans cette direction. J’étais un peu déçue qu’elles soient assez catégoriques car j’hésitais entre sociologie et histoire. Finalement, j’ai pris contact avec une historienne qui m’a accueillie mais à partir du moment où elle a lu mon mémoire, elle a rejeté l’approche féministe de ma recherche de manière très véhémente. Je ne voulais pas faire une thèse pour être lue par deux personnes et je pense que ça l’a vexée. Nous avons donc cessé tout contact mais j’ai perdu du temps car elle m’avait présentée au labo à la Sorbonne et intégrée à un groupe avant d’avoir lu mon mémoire. Après lecture, elle le trouvait donc trop féministe.

Ton mémoire de M2 traite du “Syndrôme d’aliénation parentale”, souhaitais-tu continuer tes recherches sur cette thématique pour ta thèse?
J’hésitais à partir sur la suite de mon mémoire, l’affaire Cestas et le mouvement des pères des années 70 ou faire une thèse sur le parcours des mères victimes de violences conjugales dans les territoires ruraux puisque j’aborde ça aussi dans mon mémoire et c’est donc ce deuxième choix que j’ai priorisé. Simon Lapierre m’a ensuite invité à poursuivre une thèse mais j’ai dans un premier temps refusé pour finalement revenir vers lui, un an plus tard. Il y a certains détails que je vais évoquer car ils me semblent importants. Pendant le mémoire, qui traite de violences faites aux enfants- il s’agit d’un massacre- je n’allais pas bien, je travaillais sur 250 articles de presse et c’était hyper dur. Physiquement et psychologiquement, je commençais à flancher, j’étais très fatiguée. En parallèle, en 2019-2020, Pierre et moi avons été amenés à travailler pour une personne qui m’a beaucoup fait travailler gratuitement et beaucoup fatiguée. Quand j’ai rendu mon mémoire et suite à ce qui s’est passé avec l’historienne de la première thèse, j’ai été impactée. On peut parler de prédation académique ou d’exploitation et je n’allais vraiment pas bien. Dans le cadre de ma thèse commencée en 2022, j’ai encore des conséquences de ce qui s’est passé, je ne me sens pas bien, je doute de moi. Parfois je relis mon mémoire, j’ai eu 19, je pense qu’il est bien mais je ne l’ai pas mis en ligne. D’abord en raison de l’historienne me disant qu’il était trop féministe et surtout en raison de cette femme qui nous a exploité·e·s et maltraité·e·s finalement. Par conséquent, je doute beaucoup de moi alors que tout le monde pourrait profiter du mémoire, il a été évalué par des professeures compétentes.

Je te remercie de partager ces expériences car en effet, on peut ne pas se sentir suffisamment crédible à mettre en ligne nos travaux, cela touche un grand nombre d’entre nous. De plus, l’aspect de l’impact de nos recherches sur notre santé psychologique est à réfléchir afin de savoir comment encadrer ou accompagner les répercussions sur le court et long terme. T’es-tu faite accompagner?

Depuis un an, j’ai demandé une supervision psychologique pour la thèse et pour ce que j’ai pu vivre avec la prédatrice. Ce suivi me permet de parler à quelqu’un – au début toutes les semaines et à présent tous les quinze jours, trois semaines – mais aussi pour parler des entretiens : comment les analyser par rapport à ma propre situation, de ce qu’on vit au quotidien, des répercussions qu’a pu avoir la prédation académique etc.

En novembre 2022, tu t’inscris en thèse, comment fait-on pour trouver une école doctorale?
Simon Lapierre a lu mon projet et il fait partie de mon entourage et Nicole Roux que j’avais rencontré quelques fois était partante bien que les violences conjugales ne fassent pas partie de son domaine de recherche. Je faisais déjà partie du groupe de travail à l’UBO, groupe interprofessionnel co-fondé par Marie-Laure Deroff et Christelle Fraïssé. L’aliénation parentale commençait à être reconnue.

Ta thèse est-elle financée?
Non, c’est une thèse à mi-temps qui va m’occuper environ cinq ans et je dois subvenir à mes déplacements, m’arranger pour qu’il y ait des conférences proches du terrain d’ enquête. Ça reste compliqué de ne pas être financé mais à la fois ça me permet d’être libre. J’ai l’impression qu’un financement implique un contrôle plus important sur ce qu’on produit. Il faut travailler à côté, ce qui entraîne de la fatigue, fatigue d’autant plus grande que mes recherches concernent aussi les violences, je n’ai donc pas d’espace de repos.

Te semblait-il nécessaire de faire cette thèse?
Oui… Par curiosité, afin de voir comment j’allais me débrouiller et comment j’allais me départir de mon travail d’écoutante sociale, comment j’allais me débrouiller au niveau des entretiens – seraient-ils similaires ou non -, comment rentrer sur le terrain et l’expliquer alors que j’y étais déjà. Je ressens aussi un peu le stigmate de l’autre étude – celle sur l’aliénation parentale – car au début de ma thèse, les gens confondaient les recherches et m’orientaient vers des dames accusées d’aliénation parentale. J’ai donc retardé les entretiens mais hier encore un journaliste m’a parlé d’aliénation parentale, ça me poursuit… Et lors de mon mémoire de maîtrise, j’aurais aimé faire une thèse mais je n’avais pas de sujet qui m’intéressait à l’époque.

Ton sujet sur les parcours de mères victimes de violences conjugales dans les territoires ruraux est spécifique et peu exploré.
Il n’y a pas de recherche. Sur Cestas, j’ai fait un état des lieux de la littérature mais il n’y avait rien en France ou presque, ça m’a surpris. J’ai lu des écrits américains qui m’ont emballé, notamment un criminologue et ça m’a donné envie de faire de la recherche. Je me suis orientée sur les femmes avec enfant car lors de notre travail sur l’aliénation parentale, un tiers de nos entretiens venaient des territoires ruraux avec certaines caractéristiques comme l’alliance avec l’agresseur de la part des gendarmes, du maire du village etc. C’est donc une sorte de continuation de ce que j’ai fait avant : qu’est-ce qui se passe pour les mères lorsqu’elles se séparent dans un territoire rural ? J’avais beaucoup de questions. Je m’intéresse à tout ce qui est connivence masculine avec l’agresseur, selon sa fonction à l’intérieur du village. Une autre chose qui m’a choqué est la représentation qu’on peut avoir des auteurs avec des stéréotypes de genre : la personne racisée, le fou, le rural et j’ai travaillé sur une affaire exceptionnelle qu’est l’affaire de Cestas, sur un territoire rural. A chaque fois qu’on parle de violences conjugales sur ces territoires, on entend une femme sur deux tuée vient d’un territoire rural ce qui met une porte d’entrée qui me déplait. Je m’intéresse à la violence de tous les jours, la violence ordinaire, pas forcément aux tueries de masse.

Une fois ta thèse achevée, quels sont tes projets?
Je commence à réfléchir à mon corpus d’entretiens afin de pouvoir faire des articles. Car le processus est très long. Je mets donc en place des séries d’entretiens treize par treize. Par exemple j’interroge des professionnel·les (CIDFF, Solidarité Femme, des gendarmes etc.) et ces petits corpus me permettront de produire des articles à partir de cette spécificité. Sinon, je n’ai pas forcément d’objectif. J’aimerais publier un article à partir de mon mémoire mais je mets du temps à écrire toute seule. Nous avons fait une proposition d’article pour un ouvrage et j’ai eu du mal à rédiger, je me sentais presque incompétente. C’était un sujet sensible pour moi, par rapport à ce qu’on a subi du point de vue de la prédation, j’avais du mal à prendre la main. Quand l’objet de la rédaction concerne l’objet qui nous a été volé, comment faire pour me départir de tout ça et je ne veux pas aller mal quand je vais rédiger. Comment faire pour ne pas citer la personne qui nous a volé notre travail… Avoir une analyse neutre, c’est compliqué.
Nous aurions besoin d’un mouvement de dénonciation des abus du point de vue académique.
Je pense que les chercheurs précaires sont exploités à l’Université, on n’est pas les seuls.

Es-tu la seule de ta famille à avoir entrepris un parcours de doctorante?
Ma fille de 26 ans a déposé son projet de thèse qui sera financé. Mes parents ont un niveau certificat d’études pour mon père et d’infirmière pour ma mère. En revanche, certains de mes cousins ou neveux ont fait des thèses.

Ton terrain de recherche est-il proche de ton lieu de vie?
Non, au début j’avais trié par département mais il était difficile d’anonymiser correctement, alors je fais par région dont certaines très éloignées. Je fais des entretiens par téléphone, zoom mais je dois aussi me déplacer et cela implique un coût et une organisation. Une chose qui m’a intéressé en thèse est un cours sur l’éthique de la recherche (MOOC), ardu et ludique à la fois. En thèse, on a l’obligation de faire des formations, 50h à mi-temps, 100h à temps complet mais j’en suis à 200h! La publication d’articles permet d’obtenir des points, comme assister à des conférences.

Merci pour ta disponibilité et bonne continuation dans ton travail de recherche, dans l’attente de découvrir ta thèse.