Interview avec Karine Esselin, doctorante au CRESPPA CSU Paris 8,  qui étudie le phénomène des backpackeuses réalisée par Chiara Persiani, étudiante en M2 Corps et Biopolitique.

Bonjour Karine! Merci d’ accepter d’être là et de nous parler de tes études! Alors, où je voulais commencer ? Ah oui, je voulais te demander un petit peu de parler de ton parcours et de comment tu es arrivée au Master 2 Études sur les Genre.

Bonjour Chiara et merci de m’inviter. En fait, j’ai 49 ans. J’ai commencé des études d’ethnologie quand j’étais à l’université. Et voilà, je n’ai pas pu continuer, c’était très compliqué. J’ai travaillé en anthropologie politique, sur les revendications des Mapuches, j’avais mon terrain de recherche au Chili. Et bon, j’ai eu un gros désaccord avec mon directeur de mémoire. Enfin, il m’a demandé de partir. Après, je suis allée à Toulouse et pareil, ça s’est très mal passé. On n’était pas d’accord au niveau de la vision politique, en fait.

Donc, je ne l’ai pas soutenue. Et puis après, je suis allée voir Descola, j’avais proposé un sujet très ethnologique, pour l’intéresser. J’avais déjà passé deux années sur le terrain. Donc, je commençais vraiment à connaître du monde. Mais il voulait que je reste à Paris pour suivre les cours à l’EHESS. J’ai dit, bon, moi, mon but, c’était de repartir au Chili. Donc, je suis repartie au Chili, du coup, sans inscription à la fac. J’ai ethnographié la lutte politique des Mapuche, j’y suis restée quatre ans. Je voulais faire une monographie. Je suis rentrée, je n’ai rien écrit. Parce que je me suis rendue compte qu’en fait, j’avais tout pour faire un rapport qui servirait au service secret chilien. Et voilà, enfin, clairement. Donc, il était hors de question que j’écrive un truc. Et puis, en plus, je me suis fait arrêter par la police. Enfin, c’était compliqué. Je ne pouvais plus y retourner après non plus, car on m’avait menacé de me mettre en prison. Ouais, donc, en fait, bon, voilà, mon terrain, c’est terminé.

Backpackeuses et backpackers au Maroc, le dernier terrain de recherche de Karine. Crédit photo Moroccan Dream hostel à Fès. 

Ça, c’était pendant ton master? Le Chili, l’ethnologie, l’idée de faire monographie que, finalement, tu n’as pas écrit?

C’était, ouais, dans mes premières études d’ethnologie.

 Ah, OK. Et puis, t’as repris tes études 20 ans ou 30 ans après.

Oui, exactement, j’ai décidé que je voulais faire autre chose et j’ai pensé reprendre les études. C’est vrai que j’aime bien la socio à la base, quand même. Et je trouve que c’est bien plus facile que l’ethnologie pour enquêter sur des mêmes que soi.

On avait déjà parlé de comment la chercheuse peut se situer. C’est toujours compliqué avec l’ethnologie parce que tu n’as pas le temps. Il n’y a pas vraiment une méthodologie fixe. Il fait toujours des contacts avec les gens et où on pose la limite, non?

Oui, alors moi, tout ce côté là, franchement, par rapport à la sociologie, j’adorais. Avec l’ethnologie, je trouve qu’on est vraiment libre de prendre, de s’insérer totalement dans son terrain. Mais c’est vrai que c’est surtout le rapport de race qui me gênait. Le fait d’arriver au Chili en disant, écoutez, moi étudiante blanche je vais analyser votre société et je vais vous expliquer votre vie. Alors ça, ce n’était pas possible. D’ailleurs, ils me l’ont dit tout de suite. Quand je suis arrivée au Chili, ils m’ont dit: “tu sais que tu n’es pas la seule, on a beaucoup d’étudiant. es en ethnologie ou ethnologues qui veulent nous expliquer comment on vit”. Donc ça, ça a été très important pour moi. Surtout que ça m’a été répété largement, c’était aussi une manière d’avoir un statut dans les communautés Mapuche en conflit plus comme observatrice de la répression politique, judiciaire et militaire à laquelle ils font face. La pensée décoloniale est devenue très importante pour moi, je l’ai apprise avec les Mapuches. Donc oui, je ne voulais pas refaire de l’ethnologie. Je me suis inscrite en licence de socio à Strasbourg à distance pour voir si ça me plaisait. Et il y avait beaucoup de cours sur les études de genre. Je ne connaissais pas plus que ça, et donc, dans cette licence-là il y a Alice Débauche et l’équipe qui a travaillé sur l’enquête Virage. Et voilà, j’ai trouvé que c’était super intéressant. Et après, j’ai cherché pour continuer en études de genre. C’est comme ça que je suis arrivée dans ce master qui m’a beaucoup plu. Parce qu’il y avait aussi ce rapport de race qui était clairement étudié. C’était vraiment excellent. Enfin, à plein de niveaux, vraiment, j’ai bien aimé. Je trouvais qu’il était assez transversal aussi. Et puis, il y avait une super ambiance entre les étudiant.es. Enfin, on discutait beaucoup sur les réseaux. J’ai vraiment bien aimé.

On avait discuté du fait que, à travers la reprise des études, tu voulais chercher d’ autres opportunités ailleurs de ton travail  dans l’éducation publique, non ? 

Oui, c’est ça.

Es -tu toujours professeure?

Oui, je suis professeure des écoles. Et en même temps je fais une thèse. Donc, je fais une thèse sur les femmes solo backpackeuses. J’ai continué le sujet que j’avais fait en master.

C’était un petit peu difficile de trouver un direction pour continuer en thèse. Parce que mon sujet, les backpackers, est peu étudié, en particulier en études sur le genre. Enfin, ma directrice de mémoire, Marie Laure Deroff, elle n’avait pas de HDR. Sinon, j’aurai continué avec elle. Elle ne pouvait pas me suivre et me diriger en thèse.

Crédit photo @Moroccan Dream hostel à Fès

Donc, c’était facile de trouver quelqu’une pour te diriger dans ton mémoire. Mais une fois que tu voulais faire une thèse, c’était difficile de trouver quelqu’un.e.

Voilà, j’ai cherché une direction de thèse. Du coup, j’ai contacté des personnes qui avaient fait une thèse sur les backpackers. J’ai rencontré Mickael Hetzmann Docteur sur la formation par le voyage des backpackers. Et ce jour-là, il avait invité Franck Michel, qui est un ethnologue du voyage, il a écrit beaucoup de livres. Il travaille beaucoup sur le voyage, mais pas en études de genre. En fait, je lui ai raconté sur quoi je travaillais pour mon mémoire et je lui ai envoyé. Et puis, quand il l’a lu, il m’a dit, écoute, on le publie.

Et finalement, pour les directeurs et directrices, comment as-tu fait ? Tu l’as trouvé.e comment ?

J’ai contacté énormément de personnes. Beaucoup sans réponse. J’avais fait un projet de thèse pendant le mémoire. C’était la même année. En fait, je voulais vraiment essayer d’enchaîner le M2 et la thèse.  Enfin, ce n’est pas facile. Et à un moment, je suis tombée sur un article de Sylvie Tissot que j’ai trouvé super intéressant. Elle travaille sur l’espace  et le genre aussi. Et donc, je l’ai contactée. Je sais qu’elle est connue. Mais j’avais contacté plein de monde en fait.

Tu as contacté vraiment plein de monde. Beaucoup d’emails envoyés.

J’ai demandé de l’aide aussi à ma directrice de mémoire et Nahema Hanafi. Du coup, elles m’ont conseillé de regarder dans ma bibliographie. De bien regarder ma bibliographie et de voir si dans ma bibliographie, je pourrais trouver une direction pour la thèse.

Alors, finalement, tu as envoyé beaucoup de mails. As-tu trouvé ta direction de thèse dans ta bibliographie?

Oui, c’est ça!

Combien de temps ça t’as pris de trouver une directrice ?

Je dirais peut-être trois mois quand même. Déjà, écrire le projet de thèse, c’est compliqué. Ça prend du temps. Surtout que j’étais dans l’écriture du mémoire en même temps. Donc, c’était assez compliqué. Enfin, voilà, ce n’est pas facile. Ma directrice, Marie Laure Deroff, a corrigé aussi pas mal de fois mon projet de thèse. Et puis, c’est vrai que ce moment-là m’a permis d’affiner ma problématique de thèse. Je voyais bien que dans le mémoire, il y avait tout un pan que je laissais de côté. Parce que bon, voilà, le sujet est énorme, on peut l’aborder de pleins de façons, c’était pas possible de travailler sur l’occupation des espaces exotiques par ces femmes en voyage seules. Le sujet était porteur sur les imbrications des rapports de pouvoir entre la race, le genre, la classe et il y avait vraiment matière à faire une thèse sur ce sujet des femmes qui voyagent seules.

Est-ce que tu pourrais faire, par exemple, une petite chronologie? 

Mais oui, j’ai dû commencer, je pense, vers mars à travailler sur mon projet de thèse. Ça m’a pris un bon mois et demi, facile. Et puis, j’ai commencé aussi à envoyer quelques mails. Oui, j’ai envoyé pas mal de mails. Et puis, j’ai envoyé mon projet de thèse à Sylvie Tissot qui, elle, m’a répondu. Elle était plutôt intéressée. Elle voulait voir mon mémoire final. Et elle m’a donné la réponse en juillet.

Donc, c’était bon en juillet. Et maintenant, est-ce que tu travailles dans quelle université ? C’est comment ta thèse ? C’est en ligne ou présentielle?

À Paris 8, au CSU. Mon laboratoire travaille en sociologie et en sciences politiques. Et c’est beaucoup sur les espaces, sur la classe, sur le rapport de race, sur les rapports de genre. Ma thèse s’inscrit dans les axes de recherche du laboratoire. Là, c’est vraiment super intéressant.

Es-ce que tu vas souvent à Paris 8 ou tu fais tout en ligne? 

Disons que Sylvie Tissot me donne au moins deux rendez-vous dans l’année, en présentiel. Et puis sinon, on s’envoie des mails, voilà. Mais non, je n’y vais vraiment pas souvent. C’est vrai que c’est un certain budget aussi, généralement. Donc, bon, je n’y vais pas souvent. Après, c’est sûr que, voilà, je suis quand même assez éloignée et un peu isolée. Je pense que c’est dommage d’être éloignée du labo et aller au laboratoire plus souvent me permettrait d’échanger aussi avec les autres doctorant.es, d’aller à des séminaires pour discuter aussi avec d’autres personnes. Ce serait aussi plus stimulant  parce que des fois, chez moi, toute seule, c’est un petit peu difficile. Mais je suis quand même pas mal de séminaires en ligne.

Est-ce qu’on peut parler un petit peu du financement ? T’as eu un financement pour ta thèse ou pas ?

Non, en fait je n’ai pas demandé l’allocation doctorale par manque de temps parce qu’en plus c’est énorme comme dossier à faire. Et puis, pour dire les choses clairement je suis trop âgée et je n’ai pas un parcours universitaire d’excellence non plus, loin de là, même. Je ne suis pas passée par l’ENS ni Sciences po. Il y a une forme d’élitisme et de compétition ardue pour obtenir  un financement de thèse. Je veux dire, c’est hyper compliqué pour les personnes qui n’ont pas des capitaux scolaires d’excellence, ce qui correspond aussi à mon avis à une forme de plafond de verre.

Pourquoi t’as décidé de faire une thèse sans financement?

Je n’avais pas vraiment le choix en fait. Comme je te disais avant parce que c’est super compliqué de trouver un financement. En effet c’est peut être plus difficile de trouver un financement que de trouver une direction de thèse. On m’a dit que j’aurai plus de facilité à trouver une direction sans demander de financement, car c’est aussi à la charge de la direction de trouver le financement pour le.a doctorant.e, et puis je n’ ai absolument pas le profil type.

Dernière question après avoir beaucoup parlé des aspects administratifs. Est-ce que tu pourrais  brièvement, me partager quelques points clés de ta thèse? Si tu devais expliquer ta thèse, qu’est-ce que tu dirais ? C’est quoi les focus de ton travail ?

C’est donc la blanchité, les espaces publics, et le genre en mots clés.

Alors, on pourrait dire que le focus de ma thèse c’est la relation entre le genre, la blanchité donc la race, la classe et les différents capitaux : économiques, culturels, corporels et sexuels et le voyage long dans les Suds. Comment les femmes seules en voyage dans les Suds vont mobiliser ces ressources pour occuper les espaces publics exotiques. J’étudie aussi comment elles font pour se sentir en sécurité en voyage, tant par rapport aux peurs postcoloniales que par la formation d’une technicité de la mise en sécurité de soi, les stratégies d’évitement, de conformation aux normes de genre, à l’hétéronormativité, aux normes de la féminité. Comment elles ajustent leurs privilèges de classe, de race aux assignations de genre, à la peur des violences sexistes et sexuelles comme femmes seules dans les espaces exotiques. Camille Paglia parle du risque politique des violences que les femmes prennent pour occuper les espaces. Je trouve cette théorie très intéressante, en tant que femmes seules, les backpackeuses décident de prendre ce risque politique de vivre des violences, mais en voyageant et en profitant des espaces touristiques.

Alors, merci beaucoup Karine d’avoir répondu à toutes mes questions, bonne journée à toi!

Merci à toi Chiara et bonne journée!

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